mercredi 16 juin 2010

Sommes-nous tous des golems ?

En retrouvant, dans un fatras de notes, un bout de texte abandonné tel un petit caillou dans lequel n'aurait pas shooté la semelle impitoyable de la relecture, je déterre des sédiments de ma mémoire le vif intérêt que j'avais éprouvé à la découverte du golem.
Obscure et inquiétante créature, vouée à un désespérant inachèvement, le golem capte et fascine par sa proximité avec nous. C'est ce mot, dans mes notes, inachèvement, et plus loin l'allusion à la toute-puissance du Verbe, qui ranime mon curiosité. Qui est le golem ?
Figure des origines, mystère de la création, le golem est matière informe, embryon, chrysalide, l'état d'Adam avant que Dieu ne lui insuffle la vie, Je n’étais qu’un golem et tes yeux m’ont vu Livre des Psaumes (139, 16)... Le terme golem signifie aussi, dans la tradition juive notamment, homme stupide, bon à rien, femme qui n'a pas encore enfanté, toute créature inachevée.
Sommes-nous tous des golems ?
Du golem aujourd'hui on sait surtout qu'il désigne cet être artificiel animée par quelque sorcellerie, forme générique si l'on veut de Frankenstein et consorts. On connaît le roman éponyme de Gustav Meyrink, précurseur de la littérature fantastique, ou le film de Paul Weneger, chef-d'œuvre du cinéma expressionniste allemand. On éprouve pour le personnage grossier du golem, figure romanesque simpliste et fable sur la création, une tendresse amusée.
Parfois, on en a appris un peu plus sur lui, si d'aventure en visitant Prague - qui lui doit, j'en suis sûre, sa magie mystérieuse et fantomatique - on l'a croisé au détour d'une ruelle sombre.
Sans aller jusqu'à la rencontre en chair et en os, on aura tout au moins été instruit de sa légende aux abords de la synagogue Vieille-Nouvelle de Josefov. Car c'est là, dans la genizah (où sont conservés les vieux manuscrits hébreux), au fond d'une cave toujours scellée et gardée, que repose le corps sans vie du golem. L'histoire veut qu'au XVIe siècle, pour sauver la communauté juive menacée, le rabbin Loew ait façonné un golem, humanoïde fait d’argile auquel il aurait insufflé la vie selon la tradition biblique en inscrivant sur son front le mot EMET (vérité en hébreu) et en déposant dans sa bouche un parchemin où se trouvait écrit le nom de Dieu. Le golem ainsi prit vie, obéissant au rabbin et accomplissant sa noble mission. La suite était prévisible, devenu trop grand et trop puissant, le golem échappa au contrôle de son créateur. Pour lui ôter la vie, le rabbin dut, comme il convient, se résoudre à effacer la première lettre sur son front, transformant EMET en MET (mort en hébreu).
Depuis, le golem, maintenu en sommeil dans sa cave, demeure à disposition de la communauté juive. Certains assurent qu'il s'échappe, par le truchement de rituels ancestraux, et hante à intervalles réguliers les rues de Prague, infléchissant les destins de ceux qui croisent sa route.
Le ranimer exige le recours au procédé sus-décrit, et chaque fois c'est la magie du verbe qui opère.
Par sa dépendance totale au langage, le golem devient notre égal, notre semblable. Existons-nous avant d'avoir été nommés ?
Le Sefer Yetsirah (Livre de la Création ou Livre de la Formation), l'un des plus vieux textes de l'ésotérisme juif, attribué mythiquement au patriarche Abraham, enseigne que le monde a été créé avec les lettres de l’alphabet. Ainsi Dieu crée et modèle le monde et l’homme à partir d’un langage (comme l’homme modèle le robot, la machine à partir de la cybernétique, de l'informatique…). Dans la tradition juive, la création de l’univers s'accomplit par les 22 lettres de l’alphabet hébraïque et les 10 premières unités. Leur addition donne les 32 voies de la sagesse. Pour donner vie au golem, il faudra se livrer à des opérations « magiques », marches et récitations incluant 231 combinaisons de l’alphabet, comme autant de portails de lettres en relation avec les différents membres et fonctions vitales.
Ainsi accédons-nous à la vie par charabia et alphabet, vivons-nous d'arrangements et alchimie de mots jusqu'à ce que le langage nous abandonne. Ça laisse sans voix, non ?!

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