jeudi 20 janvier 2011

11 cm x 18 cm

Je ne me reconnais pas dans l'illustration de couverture ni dans le texte de la 4ème, pour lesquels d'ailleurs je n'ai pas été consultée...

On est si heureux autour de moi, pour moi.
La jouer blasée serait déplacé, je ne vais pas bouder mon plaisir.
Ça me fait plaisir.
L'hypothèse des forêts est disponible en poche !



Je me souviens d'une authentique euphorie, fulgurante, à l'annonce de la future sortie dans ce format improbable pour moi. Un vrai petit shoot.

Et puis... je me souviens des heures de travail, des jours, des mois d'une expédition hasardeuse. L'écriture qui s'écoule, se languit, stagne, s'emballe, s'égare, se condense sur deux ans. Deux années traversées par ce fleuve-là, convulsées par des accès de fièvre solitaire. Cela est inscrit pour toujours.

Je me souviens du mal que m'a donné la page 73, du titre qu'on a voulu me faire changer,
 de ce que le texte dit à ma place, des images qui m'ont éveillée en sursaut au milieu de la nuit, de mon infinie tendresse pour ces personnages dont j'ai raconté l'histoire. Cela est toujours vivant.

Que, si possible, on me pardonne cette image, qui sent son costume de parade, d'auteur "habité" pour qui rien ne compte en dehors de l'art en marche, yeux cernés, pas coiffée, à la table de la cuisine... (ça fonctionne mieux pour les hommes : barbe de trois jours, haleine brûlante d'alcool, incantations poétiques adressées aux ténèbres par-dessus le corps de la jeune pulpeuse endormie là).

Aujourd'hui, L'hypothèse des forêts sort en poche.

Humblement, tristement, je le confesse... Je n'arrive pas à me sentir concernée. Je le dis en petits caractères comme si cela pouvait atténuer l'indécence de l'aveu et, pourquoi pas, lui laisser une chance de passer inaperçu. Je le dis avec une gêne dont je ne permets pas que l'on doute. Je le dis quand même, non par souci d'honnêteté ou pour l'élégante pose de celle qui a déjà tout vu, je le dis car mon impassibilité me plonge dans la perplexité et la désolation.

Elle signale ma difficulté à participer à ma propre vie. Je m'empresse de préciser que ce déphasage ne s'applique pas uniquement à mes modestes péripéties éditoriales. Cette impression, pénible, étrange, d'inadéquation tient du motif pauvre et rébarbatif de la ritournelle. Mes émotions ne s'imbriquent pas dans la place que la réalité leur fait.

Je donnerais beaucoup pour adhérer à l'événement de cette sortie. Il n'y a pas dans la vie tant d'occasions que ça de se réjouir, alors si je pouvais pleinement profiter de celle-là...

Je flotte, je dérive, je me sens loin, si loin. On pourrait dire "plusieurs années se sont écoulées depuis l'écriture de ce livre", mais ce n'est pas ça, pas un éloignement imputable au temps qui passe, plutôt une distance qui se joue en soi, comme si je m'abandonnais moi-même sur le rivage.

Peut-être que ça ne m'appartient plus - pirouette cacahuète voyez l'incorrigible poète-, peut-être que je n'appartiens qu'aux prochains livres, et ne chemine qu'avec celui-là qui cherche encore un éditeur, qu'avec cet autre dont je commence l'écriture à l'aveuglette, aux éclairs, désespérant, rêvant, pensant à tout autre chose, ne pensant qu'à ça.

Non, bien sûr, je ne vais pas faire ma blasée, je ne vais pas bouder mon plaisir.

Et je souhaite à mon manuscrit errant, à mon manuscrit balbutiant de finir comme L'hypothèse des forêts : 11 cm x 18 cm.

Je me souhaite de pouvoir encore ne penser qu'au suivant.

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